Mise en demeure de la Compagnie Fruitière, un des principaux producteurs et distributeurs de bananes en Europe
Des ONG mettent en demeure la Compagnie Fruitière pour la violation de ses obligations de vigilance liées aux activités de sa filiale au Cameroun.
Communiqué de presse
Paris / Yaoundé, le 10 décembre 2025
Transparency International Cameroon, ActionAid France, et Transparency International, avec le soutien d’intérêt à Agir, mettent en demeure la Compagnie Fruitière pour manquement à son devoir de vigilance sur les risques de violation des droits humains et les atteintes à l’environnement resultant de l’activité de sa filiale camerounaise. Pour la première fois, des organisations de la société civile mobilisent la loi française pour exiger l’intégration de mesures anti-corruption dans la démarche de vigilance d’une entreprise.
La Compagnie Fruitière, groupe marseillais fondé en 1938, est aujourd’hui l’un des principaux acteurs européens de production et distribution de bananes et le premier producteur en Afrique. Au Cameroun, elle opère principalement via la société Plantations du Haut-Penja (PHP), implantée à Njombe-Penja, dans la région du littoral. Massivement destinés au marché européen, les produits de la Compagnie Fruitière sont vendus dans les principales enseignes de la grande distribution européennes.
Dix ans après les scandales sur les conditions de travail, l’intoxications aux pesticides et les conflits d’intérêts dénoncés par Transparency International Cameroon¹ et plusieurs autres organisations, de nouvelles enquêtes montrent que les activités de PHP continuent d’avoir des impacts graves sur les droits humains, l’environnement et la santé des travailleur·ses et riverain·es – et malgré l’adoption de mesures exigeantes en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE) – labels Fairtrade, WWF, etc. Conditions salariales critiques, licenciements abusifs, exposition à des pesticides et à d’autres produits hautement toxiques sans protection, impact sur l’environnement et les habitant·es… — le tout aggravé par une corruption endémique qui fragilise les communautés et l’état de droit.
La loi sur le devoir de vigilance, adoptée en 2017, impose aux grandes entreprises implantées en France d’identifier les risques et de prévenir les violations des droits humains qui résultent des activités de leurs filiales, y compris à l’étranger. A défaut, leur propre responsabilité peut être engagée. Face à l’accumulation des alertes, nous mettons en demeure la Compagnie Fruitière – via la Compagnie Financière de Participations, société mère opérationnelle de la PHP, et la Compagnie Financière de l’Oriol, holding ultime du groupe – de mettre en œuvre des mesures effectives de vigilance pour prévenir, atténuer et, le cas échéant, mettre fin aux risques d’atteintes graves résultant de l’activité de la PHP au Cameroun². Compte tenu de la corruption endémique au Cameroun et des impacts qu’elle a sur les droits fondamentaux, les organisations demandent également, et en conformité avec les meilleurs pratiques internationales, que des mesures anticorruption adaptées soient intégrées à la démarche de vigilance de la Compagnie Fruitière.
Pour les travailleur·ses et les communautés locales, cette action offre enfin une voie de recours crédible, dans un pays où l’accès à la justice demeure extrêmement limité, les blocages administratifs et judiciaires étant exacerbés par la corruption endémique et capillaire bien documentée du pays. Le Cameroun reste classé 140e sur 180 pays, avec un score de 26 sur 100 dans le dernier Indice de perception de la corruption publié annuellement par Transparency International³.
La société a trois mois de temps pour publier un nouveau plan de vigilance contentant des mesures effectives. A défaut, la décision reviendra au juge que les organisations signataires se réservent de saisir.
Citation de M. Njon Manga Bell Henri, Président, Transparency International Cameroon
« Depuis 2014 Transparency International Cameroon associe la lutte contre la corruption à l’amélioration des conditions des travailleurs de la PHP et des communautés locales. L’initiative actuelle s’inscrit dans cette démarche : après plusieurs interpellations sans changement réel sur le terrain, nous espérons que l’engagement de la responsabilité juridique de la société mère pourra apporter une amélioration réelle pour plus de 100 000 habitants de la région de Njombe-Penja. »
Citation de Chloé Rousset, chargée de campagnes « Dignité au travail et régulation des multinationales », ActionAid France
« En 2014, nous dénoncions déjà les pratiques de la PHP au Cameroun. 10 ans plus tard, malgré une politique RSE de la société mère qui paraît exigeante, force est de constater que les violations des droits persistent et que la terreur continue de régner autour de cette entreprise agro-industrielle. Alors que les droits des travailleur·ses sont de plus en plus attaqués au nom de la compétitivité, écoutons enfin les personnes concernées par les violations des droits humains par des multinationales. »
Citation de Noémie Adam Onishi, experte juridique de Transparency International
« La corruption est souvent la force cachée qui permet aux violations des droits humains et à la dégradation de l’environnement de persister dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Cette affaire révèle une lacune importante dans la législation française en matière de devoir de diligence : elle ne reconnaît pas la corruption comme un risque majeur que les entreprises doivent évaluer et prévenir.
En soutenant la première application de cette loi pour lutter contre la corruption, nous plaidons en faveur d’une évolution nécessaire vers une diligence raisonnable renforcée et pleinement intégrée. Cette approche reconnaîtrait la corruption comme un facteur de préjudice et renforcerait la protection des travailleurs et des communautés touchés par les fautes professionnelles des entreprises. »
Citation de Luca d’Ambrosio, conseil des associations et membre du collectif Intérêt à Agir
« Cette action contentieuse s’inscrit dans un mouvement croissant de consolidation du devoir de vigilance des entreprises. Cet instrument juridique est désormais central pour garantir une protection effective des droits humains, des droits des travailleurs et de l’environnement au sein des groupes multinationaux et des chaînes globales de valeur. Cette action marque également un tournant stratégique. Elle exige que les entreprises européennes qui opèrent dans des pays où la corruption est diffuse et enracinée intègrent pleinement ce risque dans leur démarche de vigilance, conformément aux standards les plus élevés issus du droit international et du droit de l’Union européenne.
Contacts presse :
• Transparency International Cameroon – Henri NJOH MANGA BELL, Président de TI-Cameroon, hmangalaw@yahoo.com – https://ticameroun.org
• ActionAid France – Chloé ROUSSET, chloe.rousset@actionaid.org, +33 6 17 90 16 86 –www.actionaid.fr
• Intérêt à Agir – Clémence MALMEJEAN, clemence.malmejean@interetaagir.fr, + 33 6 26 63 24 11 – www.interetaagir.fr
• Transparency International – press@transparency.org – www.transparency.org
¹ TI-Cameroon, Le fruit de la discorde et sa saveur politique acide : comment la banane alimente la corruption et la violation des droits de l’homme à Njombe-Penja, 2014
² La mise en demeure est formellement adressée à la société Compagnie Financière de Participations – société mère opérationnelle de la PHP – et à la société Compagnie Financière de l’Oriol, holding financière et tête du groupe la Compagnie Fruitière.
³ https://www.transparency.org/en/publications/corruption-perceptions-index-2024